Cassation 3ème civile, 10 novembre 2021, n°20-20294
Dans le cadre de travaux de terrassement pour la construction d’un ouvrage, un glissement de terrain avait affecté une propriété voisine. Condamné à indemniser son propriétaire, le maître de l’ouvrage s’était retourné contre l’entreprise en charge du terrassement et avait recherché sa responsabilité sur le fondement de la garantie décennale.
La Cour de de cassation l’a débouté au motif que les travaux de terrassement réalisés ne constituaient pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil et retient que le demandeur n’avait pas démontré que les travaux de terrassement s’intégraient dans un ouvrage de construction permettant en raison de leur intégration, de les qualifier d’ouvrages au sens des articles 1792 et suivants du code civil,
Elle rappelle que les travaux de terrassement constituent un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil s’ils sont liés à la réalisation d’un autre ouvrage ; et que le glissement de terrain s’étant produit avant l’élévation de l’immeuble, aucune intégration ne pouvait être utilement invoquée pour justifier la nature décennale des travaux de terrassement.
Cet arrêt permet de faire un rappel de ce qui guide l’application ou non de la couverture décennale.
Pour mémoire, l’article 1792 du code civil dispose que « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. »
La notion d’ouvrage constitue ainsi le socle des garanties des articles 1792 et suivants du Code civil ; elle conditionne l’application de la garantie qui permet d’engager la responsabilité sans faute de son constructeur.
Mais qu’elle est la définition juridique d’un ouvrage ?
Il n’en existe pas à proprement dit, et la jurisprudence s’est efforcée d’en dessiner les contours.
1°) L’ouvrage doit être rattaché au sol ou à une construction existante. Cette notion d’immobilisation a été consacrée par la jurisprudence, dissociant par exemple (et sous réserve d’exceptions) la situation des habitats mobiles ou des abris de piscines posés sur le sol sans fondation ni travaux, de celle de mêmes habitats immobilisés par leur propre poids et par leur fixation sur une dalle de béton (Cass., Civ. III, 28 janvier 2003, n° 01-13358).
2°) L’ouvrage doit résulter de travaux de construction. En effet, la responsabilité des constructeurs est limitée aux travaux de construction afin de maitriser une séparation entre ce qui résulte de l’acte de construire et ce qui résulte d’une simple adjonction des matériaux ou d’une installation d’éléments d’équipement qui ne relève pas de cette garantie.
- Sur les adjonctions de matériaux, la jurisprudence a retenu que le remplacement d’un habillage de cheminée par un habillage en marbre ne relevait pas de la garantie décennale (Cass., Civ. III, 28 mars 2012, n° 11-12.537) ou que des travaux sur une toiture n’entraînant pas d’incorporation de matériaux nouveaux échappaient au régime de responsabilité décennale (Cass. 3e civ. 8-2-2018 n° 17-13.478 FS-PBRI).
- Sur les éléments d’équipement, la situation est plus complexe. Il y a lieu de séparer les éléments d’équipement dissociables des éléments d’équipement indissociables pour l’application de l’article 1792-2 du Code civil qui étend le bénéfice de la garantie décennale aux dommages affectant la solidité des seuls éléments d’équipement indissociables1.
Il en résulte qu’un élément d’équipement dissociable ne bénéficie pas de l’article 1792-2 du code civil, mais pourra seulement bénéficier d’une garantie décennale s’il était rapporté la preuve que cet élément constitue un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil (CA Versailles, 17 décembre 2012, n° 11/03095, JurisData n° 2012-030616).
Le principe de l’article 1792-2 du code civil mérite par ailleurs d’être nuancé à la lecture d’infléchissements jurisprudentiels, tel un arrêt récent de la Cour d’Appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 4 février 2021, n° 20/01389) rendu dans la continuité de précédentes jurisprudences2, qui a rappelé qu’un abri de piscine pouvait bénéficier de la garantie décennale, sans qu’il y ait lieu à rechercher si cet abri était dissociable ou non, et sans qu’il soit utile de rechercher s’il constituait un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil, dès lors que les désordres provoqués rendaient l’ouvrage auquel il se rattache impropre dans son ensemble à sa destination.
Cette jurisprudence retient donc, dans cette hypothèse, un bénéfice automatique de la garantie décennale.
(Subsidiairement cette position jurisprudentielle créait deux fondements à l’action du maître de l’ouvrage au titre des éléments d’équipements dissociables ; d’une part une garantie de bon fonctionnement, lorsque le dysfonctionnement de ces éléments ne rend pas l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, et d’autre part une garantie décennale si les dommages occasionnés par ces éléments rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.)
3°) La réalisation d’un ouvrage nécessite que les travaux doivent revêtir une certaine importance. Ce critère matériel doit être apprécié à l’aune des précédents critères exposés. A titre d’exemple, l’arrêt de la Cour de cassation de 2018 précité a énonce que ne constituaient pas un élément constitutif d’un ouvrage relevant de l’article 1792 du code civil « en raison de leur modeste importance, sans incorporation de matériaux nouveaux à l’ouvrage, les travaux qui correspondent à une réparation limitée dans l’attente de l’inéluctable réfection complète d’une toiture à la vétusté manifeste »
1 Article 1792-2 : « La présomption de responsabilité établie par l’article 1792 s’étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert.
Un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage. »
2 rendu dans la continuité de précédentes jurisprudences (Cass 3ème civ. 14 septembre 2017, n°16-17.323 – CA Rouen, 06 décembre 2007, JurisData n° 2007-351375)