Le conseil constitutionnel prend position sur les valeurs d’expropriation

par | 16 juin 2021 | Non classé

Le Conseil Constitutionnel valide les dispositions de l’article L.322-2 du code l’expropriation quant aux restrictions prévues à l’égard de l’évolution de la valeur du bien exproprié. Décision 2021-915/916 du 11 juin 2021

L’expropriation pour cause d’utilité publique suscite depuis plusieurs années, de nombreuses interrogations quant à sa conformité à notre constitution. Le droit de propriété est un élément fondamental de notre système juridique. Selon les dispositions de l’article 17 de la Déclaration de 1789 : La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

La procédure d’expropriation a la particularité de relever du droit administratif ainsi que du droit privé. Le principe de l’utilité publique relève du contrôle du juge administratif. A défaut d’accord amiable entre les parties sur le montant de l’indemnité, il appartient au juge de l’expropriation de la fixer. Il s’agit d’un juge du Tribunal Judiciaire. Les règles de fixation de cette indemnité sont encadrées par les dispositions du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Le contentieux sur ce thème étant important, le Conseil Constitutionnel est régulièrement saisi de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) à ce titre. Les débats portent principalement sur les règles relatives à l’évaluation des biens expropriés, la juste indemnité.

Le 20 avril 2012, aux termes de sa décision 2012/236, le Conseil Constitutionnel avait déclaré conformes les dispositions de l’article L. 13-17 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, relatives à la fixation de l’indemnité d’expropriation principale et les éléments de limitations qu’elles contiennent : estimation du service des domaines ou avis de la commission des opérations immobilières rendu dans le cadre d’un contentieux fiscal.

La décision du 11 juin 2021 complète celle du 20 avril 2012. Il s’agit de deux questions prioritaires de constitutionnalité qui ont été jointes, nées dans le cadre de contentieux portant sur la date d’évaluation du bien exproprié et de son évolution. Les valeurs des biens avaient été fixées à une date permettant à l’expropriant de profiter d’une plus-value substantielle déjà connue.

Rappel du principe de la date retenue pour l’évaluation du bien exproprié :

Les dispositions de l’article L.322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique posent le principe que les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.

Par exception à ce principe et sous réserve de l’application des dispositions des articles L. 322-3 à L. 322-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, est seul pris en considération l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L.1 ou, dans le cas prévu à l’article L.122-4, un an avant la déclaration d’utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l’article L. 121-8 du code de l’environnement ou par l’article 3 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat ou, lorsque le bien est situé à l’intérieur du périmètre d’une zone d’aménagement concerté mentionnée à l’article L. 311-1 du code de l’urbanisme, à la date de publication de l’acte créant la zone, si elle est antérieure d’au moins un an à la date d’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique.

Ces dispositions s’imposent au juge de l’expropriation, y compris celles relatives à l’usage du bien antérieur à la date de première instance.

L’évolution de la valeur du bien :

Le troisième et dernier alinéa de cet article précise :

Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu’ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s’ils ont été provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d’utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l’enquête publique de travaux publics dans l’agglomération où est situé l’immeuble.

Ces dispositions interdisent au juge de l’expropriation de tenir compte dans ses évaluations, des éventuelles plus-values prises par les immeubles ; consécutives à l’annonce de travaux ou d’opérations à réaliser par l’expropriant ou des tiers.

Les exemples sont nombreux : sites retenus dans le cadre des jeux olympiques, opérations d’urbanisation de périphéries de villes, nouvelles gares… Nombreux sont les projets ou annonces de projets susceptibles de modifier la valeur des biens expropriés.

Ces dispositions « neutralisantes », ont clairement été insérées dans le dessein de protéger l’expropriant des hausses de prix induites par ses projets.

Conformité de ces règles à notre constitution :

La question prioritaire de constitutionnalité portait sur les termes s’ils ont été provoqués par l’annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d’utilité publique est demandée, figurant au troisième alinéa précité.

Le Conseil Constitutionnel reprend l’argument d’une protection de la hausse de la valeur vénale du bien exproprié, contre l’expropriant. Cet alinéa poursuit un intérêt public : celui du bon usage des deniers publics.

Il rappelle qu’en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l’article L.322-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le juge peut tenir compte de l’évolution du prix de l’immeuble consécutive à celle du marché de l’immobilier.

Il n’a pas été relevé d’atteinte au droit de propriété. Le Conseil Constitutionnel considère donc que ces termes sont conformes à notre constitution.

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Sources  et liens :
Article L.13-17 du code l’expropriation pour cause d’utilité publique :

Le montant de l’indemnité principale ne peut excéder l’estimation faite par le service des domaines ou celle résultant de l’avis émis par la commission des opérations immobilières, si une mutation à titre gratuit ou onéreux, antérieure de moins de cinq ans à la date de la décision portant transfert de propriété, a donné lieu à une évaluation administrative rendue définitive en vertu des lois fiscales ou à une déclaration d’un montant inférieur à ladite estimation.

Lorsque les biens ont, depuis cette mutation, subi des modifications justifiées dans leur consistance matérielle ou juridique, leur état ou leur situation d’occupation, l’estimation qui en est faite conformément à l’alinéa précédent doit en tenir compte.

Un décret en Conseil d’Etat précise les conditions d’application du présent article, notamment lorsque l’expropriation porte soit sur une partie seulement des biens ayant fait l’objet de la mutation définie au premier alinéa, soit sur des biens dont une partie seulement a fait l’objet de la mutation définie au premier alinéa, soit sur des biens dont une partie seulement a fait l’objet de la mutation susvisée.

Crédit photo ©Reuters

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